Que peut-on faire pour les ceps où les symptômes d'esca et BDA sont déjà apparus ? Etude de la possibilité de recéper ces ceps, voire à les recéper puis cureter le bas du cep.
Le projet Dep Grenache a permis de mieux connaître la mortalité du cépage
phare du Sud-Est de la France. Il a notamment permis de montrer que les
maladies du bois, esca et BDA, constituent la cause la plus répandue de mortalité
pouvant conduire dans les cas les plus inquiétants à une mortalité de 50% des
ceps au bout de seulement 30 ans.
La recherche travaille activement à comprendre le problème complexe qu’est
l’esca-BDA, pour réduire l’expression des symptômes foliaires et donc, la
mortalité et pertes de rendements qui en découlent. Mais pour les ceps où les
symptômes sont déjà apparus, que peut-on faire ?
Une des actions du projet s’est intéressée à la possibilité de recéper ces
ceps, voire à les recéper puis cureter le bas du cep.
Le recépage, une technique ancienne revisitée
Le recépage, technique bien connue surtout testée dans les années 1970-80
contre l’eutypiose, consiste à couper le tronc du cep malade et attendre le
redémarrage d’un gourmand pour reformer un nouveau tronc
(« forçage »). On se débarrasse ainsi de l’ancien cep nécrosé, tout
en conservant le système racinaire (généralement peu ou pas atteint), s’assurant
ainsi du plein retour en production du recépé dès la 2ème ou 3ème
année suivant le recépage.
Pour évaluer son efficacité, face à l’esca-BDA, neuf parcelles ont ainsi
été suivies entre 2021 et 2023 par les différents partenaires ; il
s’agissait de Grenache plantés entre 1995 et 2001, soit d’une vingtaine
d’années, tous déjà très atteints par la maladie (entre 10 et 20% de ceps avec symptômes
en 2020, ce qui est très élevé pour des Grenache.
Dans notre cas, nous avons choisi des ceps qui avaient montré des symptômes
l’été d’avant, à l’exception des apoplectiques pour lesquelles recéper est
inutile car le cep meurt dans la quasi-totalité des cas. Sur ces ceps, quatre
modalités ont été comparées :
-
Un témoin
sans intervention, afin de suivre le devenir des ceps symptomatiques quand rien
n’est fait ;
-
Une modalité
recépée pour laquelle la coupe ne montre pas d’amadou (nécrose claire et tendre
facilement reconnaissable),
-
Une modalité
recépée mais montrant de l’amadou
-
Une modalité
recépée-curetée, pour laquelle la coupe présentait de l’amadou ; ce
dernier a alors été retiré jusque dans le point de greffe si besoin.
Le curetage est une technique qui consiste à « curer » le bois de
ses nécroses, en particulier l’amadou, à l’aide d’une petite tronçonneuse.
Cette technique a montré a montré son efficacité pour retarder l’apparition des
symptômes. En guyot, elle présente un réel intérêt économique en comparaison de
la complantation par exemple, mais en cordon, la durée nécessaire pour cureter un
cep entier est très importante.
Les recépages ont été mis en œuvre durant 3 hivers : 2020-21, 2021-22
et 2022-23. Les modalités ont été suivies et incrémentées sur de nouveaux ceps
durant ces 3 campagnes.
Un coût inférieur à la complantation
Toutefois, le curetage du bas du tronc et éventuellement du point de greffe
requiert 4 à 8 minutes par cep pour recéper et cureter contre 0.5 à 3 mn pour
seulement le recéper (et autour de 15 mn pour cureter le cep entier). Un rapide
calcul de coûts a montré que le recépage seul s’élève à 2.40€ par cep, contre
3.70€ pour un recépage-curetage. On rappelle qu’un complant coûte a minima de 9
à 10€ par cep, voire plus selon le niveau d’entretien apporté aux complants.
En absence d’intervention les ceps symptomatiques d’esca évoluent vite vers
la mort
Pour les ceps qui montraient des symptômes d’esca et n’ont pas fait l’objet
de recépage (=les témoins), le taux de mortalité observé dû à l’esca l’année
suivante allait de 0 à 50% selon la parcelle et l’année, pour 13% en moyenne. Mais
cela s’aggrave chaque année : si on regarde le taux de ceps vivants des
témoins symptomatiques en 2020 par exemple, il passe de 94% en 2021 à 68% en
2023, 3 ans après. Cela est pire sur les témoins de 2021, pour lesquels 67%
seulement sont encore en vie après 2 ans.
Cette évolution rapide de la mortalité dans les témoins est due d’une part
à la forte probabilité de mourir des ceps symptomatiques de Grenache, et
d’autre part, à des niveaux élevés de réexpression des symptômes d’esca les
années suivantes. De 30 à 60% des ceps symptomatiques ré expriment l’année
suivante, créant un effet « boule de neige ».
L’enjeu du recépage (ou recépage/curetage) est de contrer ce phénomène, en
renouvelant le tronc et en supprimant la réexpression des symptômes. Mais
encore faut-il que les recépés redémarrent et qu’il ne reste pas de nécroses à
la base du tronc.
Des résultats encourageants des Grenaches au recépage
-
Un taux de
reprise correct pour des ceps de 20-30 ans
Si l’on excepte une parcelle avec un très mauvais taux de reprise en 2021
(15%) et dont le suivi n’a pas été poursuivi, le taux de reprise moyen des 8
parcelles est de 60% pour les recépés, toutes modalités confondues. Ces
reprises varient selon l’année et la parcelle, avec pour les meilleures
parcelles, autour de 75% et 30-40% pour les moins bonnes. Une parcelle n’a pas
toujours un bon ou un mauvais taux, il peut varier selon l’année. Un des
facteurs de variation est la sévérité du symptôme l’année d’avant : les
formes trop sévères ou apoplectiques ne devront pas être recépés car ces ceps
vont mourir à très court terme.
Les ceps recépés qui ont repris peuvent toutefois continuer à mourir les
années suivantes, surtout l’année 2 (moins sur l’année 3). Dans la majorité des
cas, la cause est liée à une pousse mal positionnée ou fragile, ou à un manque
de soin apporté au jeune cep recépé.
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Peu de retour
de symptômes
Les retours des symptômes foliaires sont, quant à eux considérablement
réduits du fait du recépage par rapport au témoin non recépé, ce qui est le but
attendu. Les symptômes d’esca-BDA sont observés sur 10 à 15% des recépés sans
amadou et recépés curetés, et jusqu’à 30% lorsqu’il y a de l’amadou sur la
coupe. Pour rappel, entre 30 et 60% des ceps témoins réexpriment quant à eux.
Une poursuite du suivi dans le temps est indispensable pour vérifier l’absence
de réexpression des symptômes.
Perspectives : déployer des tests sur des parcelles plus jeunes et
moins atteintes
Si le retour des symptômes se stabilise effectivement dans le temps, le recépage
semble donc prometteur sur Grenache, sauf si la fréquence d’amadou est importante.
Dans ce cas, le recours au curetage du bas du cep est indispensable. Pour
savoir dans quel cas il se trouve sur une parcelle, le vigneron peut réaliser
un test, et couper une dizaine de ceps symptomatiques à la tronçonneuse durant
l’été, en partant du haut du tronc et en descendant jusqu’au point de greffe.
S’il y a de l’amadou dans le point de greffe dans un nombre important de cas,
alors il devra envisager de recéper et cureter. Sinon un recépage seul sera
suffisant.
Enfin, ces résultats encourageants ont été obtenus sur des parcelles autour de 20 ans et déjà très atteintes. Il serait intéressant de reconduire de petits essais sur des Grenaches plus jeunes et moins atteints, par exemple autour de 10-12 ans, quand les symptômes commencent à s’accélérer, pour voir si on améliore d’une part le taux de reprise et d’autre part, le nombre de cas où il n’est pas nécessaire de cureter.