Bilan des recherches menées en 2023 sur la relation entre oxygène et goût de souris
L’Institut Rhodanien mène des recherches, depuis plusieurs années, pour comprendre d’où vient le gout de souris.
L’année passée, nous vous présentions nos résultats prouvant l’existence d’une seconde voie métabolique de création des pyridines, les molécules responsables de ces goûts. Voici un bilan des recherches menées en 2023, au cours desquelles nous avons exploré la relation entre oxygène et goût de souris.
Les pyridines peuvent donc apparaître dans le vin sans aucune intervention d’un microorganisme. Par une cascade réactionnelle purement chimique, variation de la réaction de Maillard, bien connue dans le reste de l’agroalimentaire (pain, bière, riz, charcuterie…). Nous avons mis en évidence que plus le pH du vin est haut, et plus sa température est élevée, plus l’apparition des pyridines est rapide.
La présence d’azote résiduel est capitale, puisque les pyridines sont constituées d’acides aminés spécifiques.
Nous avons également observé, à l’échelle du laboratoire, que l’apparition des gouts de souris semble liée à un certain degré d’oxydation du vin. D’ailleurs, cette observation va dans le même sens que celles de nombreux vignerons qui pratiquent les vins sans sulfite.
Toujours aidé financièrement par la région AURA, l’Institut Rhodanien a donc voulu aller plus loin dans l’exploration de la relation entre gout de souris et oxygène.
Nous avons donc mené une nouvelle série d’expérimentations, basées exclusivement sur la génération de pyridines par voie chimique de Maillard. Que ce soit dans les vins synthétiques ou les vins naturels, elles ont une nouvelle fois confirmé l’importance de l’oxygène dans l’apparition des pyridines. Plus on dissout d’oxygène au départ, plus les pyridines sont formées. Selon la même logique, plus on introduit de métaux catalyseurs d’oxydations (Cuivre et Fer), plus il y a de gouts de souris.
Ce résultat nous a convaincus d’étudier l’intérêt de conférer du pouvoir antioxydant au vin. Mais l’ajout de tanins, réputés antioxydants, n’a jamais permis de ralentir l’apparition des pyridines. Et ce quel que soit le type de tanins et quelle que soit la dose ajoutée. Pour aller plus loin dans cette relation à l’oxygène, nous avons réitéré le suivi cinétique d’apparition du gout de souris au cours d’une vidange. La vidange étant un contact prolongé avec l’oxygène. Comme l’année dernière, nous avons constaté l’apparition de pyridines au fil du temps. Mais nous avons pu mettre en évidence une subtilité : l’ATHP, après avoir été fortement générée au départ, fini par diminuer sensiblement. Tandis que l’ETHP suit une courbe inverse. Il se pourrait donc que l’ATHP nouvellement produite, sous un phénomène d’oxydation continue, se transforme chimiquement en ETHP. Cette transformation est par ailleurs décrite dans l’agroalimentaire industrielle, où les réactions de Maillard sont bien connues.
Cette évolution oxydative des pyridines n’est pas anodine, puisque l’ETHP a un seuil de détection plus élevé que l’ATHP. Ce qui fait qu’à teneur en molécules équivalente, le gout de souris est théoriquement moins perçu. Encore une fois, cette observation et cette hypothèse vont dans le même sens que ce qui est observé dans les chais : au bout d’un certain temps de contact avec l’oxygène, les gouts de souris finissent par disparaitre. Néanmoins, pas de véritable solution de ce côté-là, car pendant ce temps, les gouts d’oxydations apparaissent…
Pour aller encore un peu plus loin, nous avons exploré la relation entre le SO2 et les gouts de souris. Sur des vins sourissés, nous avons ajouté différentes doses de sulfite. A chaque fois, nous avons constaté une diminution du gout de souris, et surtout, de la teneur en ATHP. De plus, cette diminution est proportionnelle à la dose de SO2 ajoutée. Mais est-ce que les pyridines ont été transformées en autre chose, ou ne sont-elles simplement plus dosables, car combinées au SO2 ?
Pour répondre à cette question, nous avons ajouté du peroxyde d’hydrogène (H2O2), bien connu pour casser les combinaisons du sulfite (et le transformer en sulfate). Et nous avons constaté plusieurs fois que l’hyper oxydation, provoquée par le peroxyde, rend les pyridines de nouveau détectables. Ce phénomène est d’ailleurs similaire à ce qu’on observe pour la combinaison du SO2 avec l’éthanal. L’effet du SO2 sur les gouts de souris est donc réversible lors d’un contact avec l’oxygène.
Il faut cependant noter que l’ajout de SO2 ne semble pas diminuer la teneur en ETHP, composé secondaire. C’est peut-être ce qui explique que la perception des gouts de souris n’est pas systématiquement diminuée lors d’un sulfitage. On observe une diversité d’effets du SO2, que ce soit en laboratoire ou en cave : de la diminution forte de perception du défaut à l’absence de diminution.
En ajoutant du peroxyde, nous avons pu observer le même phénomène que lors du suivi de vidange : l'oxydation transforme l'ATHP en ETHP. Finissons donc par une hypothèse qui réunit nos différentes observations : il est probable que le niveau de diminution du gout de souris, par addition de sulfite, soit modulé par le taux de transformation d’ATHP en ETHP, donc par le niveau d’oxydation du vin (avant et pendant sulfitage).
Dosages des deux principales pyridines en fonction de la dose de sulfitage et de l’addition de peroxyde d’hydrogène après une semaine :
En l’absence d’une analyse de routine des pyridines à un prix acceptable, la dégustation reste l’unique moyen de détecter les gouts de souris. Problème, elle est particulièrement compliquée. Heureusement, des astuces existent pour nous faciliter la tâche. Pour les novices, un coffret d’initiation aux gouts de souris est désormais disponible. Édité par l’IFV, et médaillé lors du dernier Sitevi, l’institut Rhodanien a contribué à sa réalisation. Pour les experts, toute utilisation du bicarbonate de soude augmente la perception des pyridines. Par exemple, un bain de bouche à l’eau bicarbonatée (2 c.a.s. dans 1/2 litre d’eau), juste avant de déguster le vin, est une manière efficace de détecter précocement l’apparition d’un futur gout de souris.