Des résultats prometteurs ont été observés pour la réduction des résidus dans les moûts et les vins avec l’utilisation d’exopolymères issus de bactéries lactiques
Dans le cadre du programme de recherche « Produire des vins sans résidus quantifiables » financé entre 2019 et 2022 par la région Occitanie et l’Europe, l’IFV en partenariat avec Inter Rhône, l’Université de Bourgogne et les laboratoires Dubernet a travaillé sur l’élimination des molécules phytosanitaires dans les mouts et les vins par différents leviers. Les résultats ont montré la possible réduction de résidus quantifiables dans les vins par des leviers viticoles et œnologiques. Cependant, certaines molécules demeurent récalcitrantes dans les vins comme fluopyram et pyriméthanil et des investigations supplémentaires par des voies biologiques ont été explorées pour tenter de les réduire.
Cet article présente les résultats obtenus avec l’utilisation d’une souche de bactérie lactique Lactiplantibacillus plantarum cultivée sous deux états physiologiques : planctonique (PL) et biofilm (BF) pour la détoxification en pesticides des moûts. Sous forme biofilm, les bactéries produisent des composés extracellulaires appelés exopolymères (ECS). Ces exopolymères participent à la structure du biofilm, lui confèrent des propriétés de résistance à des environnements stressants et concourent à la filtration naturelle de molécules. Ainsi, les (ECS) de cette bactérie ont été volontairement mis en contact avec ces moûts de raisin pour montrer leur efficacité vis-à-vis de la réduction sélective de molécules phytosanitaires.
Des analyses de résidus ont été réalisées sur trois moûts rosés débourbés (M19, M20 et M21) provenant de trois millésimes successifs (2019, 2020 et 2021). Les programmes phytosanitaires ont été réalisés par les viticulteurs partenaires à l’exception du millésime 2021 qui a reçu un traitement supplémentaire réalisé par l’IFV avec dix substances actives d’intérêt pour les besoins de l’expérimentation. Ainsi, sur les cent soixante-dix molécules recherchées à l’analyse, douze sont retrouvées sur au moins un des trois millésimes, à des teneurs très inférieures aux LMR (Limites Maximales de Résidus).
Chacun des trois moûts a ensuite été ensemencé en triplicat biologique par une bactérie lactique Lb. Plantarum, cultivée sous forme PL (planctonique) et BF (biofilm). La bonne implantation des bactéries dans les moûts a été vérifiée par méthode culturale. Les biofilms utilisés ont été visualisés avant et après ensemencement par microscopie électronique à balayage. Les résidus phytosanitaires ont été mesurés dans les mouts après ensemencement. Le tableau 1 indique le pourcentage moyen (provenant du triplicat biologique) de réduction pour chacun des ensemencements comparativement au mout de départ non ensemencé. Pour les molécules qui sont soit non détectées, soit présentes en dessous de la Limite de Quantification (LQ) avant et après ensemencement, on peut considérer que la réduction de leur concentration est négligeable à nulle (notée 0% dans le tableau). A noter que ces résultats doivent être interprétés avec beaucoup de précautions, compte-tenu des incertitudes analytiques qui sont élevées à ces concentrations extrêmement faibles proches des LQ, retrouvées dans les moûts. A ce niveau de concentration, l’objectif recherché n’est pas tant la réduction des concentrations mais plutôt la non-quantification ou détection de molécules présentes initialement dans le témoin (notées <LQ ou nd dans le tableau).
Nos essais ont mis en évidence une diminution globale des résidus phytosanitaires due à la détoxification bactérienne comprise selon les millésimes, entre 15 et 34% pour la modalité planctonique et entre 13 et 23% pour les modalités biofilm.
Certaines molécules présentent des réductions importantes après traitement biologique comme boscalide et zoxamide (entre 40 et 64 % d’élimination) sur le millésime 2019. D’autres molécules qui étaient quantifiées dans le mout initial ne le sont plus dans le mout ensemencé. C’est le cas d’ametoctradine et pyrimethanil en 2019, et de diméthomorphe, fluopicolide et iprovalicarb en 2020. Enfin, tétraconazole et zoxamide ne sont plus détectés alors que ces molécules étaient présentes sur le mout initial en 2020. Sur ce même millésime, fenhexamide et fenpyrazamine sont réduits de 22 à 33 % sous les deux conditions physiologiques de la bactérie. Sur le millésime 2021, aucune réduction significative des résidus n’est observée avec le phénotype BF. En revanche, avec le phénotype PL, on constate une réduction des résidus de pyrimethanil de 37 % (contre 14% sur la modalité biofilm). A noter que fluopicolide est réduit de 19% pour les deux modalités bactériennes (PL/BF).
Sur le millésime 2021, deux modalités de traitements biologiques sur le moût de raisin ont pu être comparées :
Les résultats montrent que le pourcentage de détoxification des résidus phytosanitaires des deux modalités est très proche notamment pour fluopicolide et pyriméthanil qui sont éliminés des moûts à hauteur de 20 à 40%, respectivement. Fenhexamide est retiré à plus de 20% sur les mouts traités avec l’ECS de la bactérie lactique alors que la fermentation de cette même bactérie sur ce mout conduit à une faible détoxification de ce composé. Pour iprovalicarb, diméthomorphe et ametoctradine, une faible détoxification de ces composés apparait avec les deux modalités. Les ECS bactériens peuvent donc contribuer à la détoxification sélective de composés phytosanitaires présents dans les moûts de raisin.
L’utilisation de traitements biologiques utilisant une souche de Lb. plantarum est un levier d’action intéressant permettant de réduire entre 20 et 40% certains résidus phytosanitaires récalcitrants dans les moûts de raisin, comme fluopicolide et pyrimethanil. Les modalités étudiées en condition planctonique sont plus efficaces que les modalités en conditions biofilms. Les ECS bactériens contribuent partiellement à la détoxification des moûts de raisin. Pour des concentrations en résidus faibles dans les moûts, l’utilisation d’ECS bactériens peut permettre de descendre en dessous des limites analytiques. Combinée à d’autres leviers (notamment viticoles par le choix et le positionnement de substances actives peu traçantes dans les calendriers de traitement), elle peut être intéressante dans le cadre d’un objectif d’absence de quantification de résidus dans les vins. Dans les futures expérimentations, il sera intéressant de tester d’autres souches bactériennes afin d’évaluer le pouvoir de détoxification d’ECS isolées d’autres bactéries lactiques.