Résultats du projet CLIMOENO sur la campagne 2022
La Vallée du Rhône septentrionale, qui
semble au premier abord moins concernée que la partie méridionale par les
conséquences œnologiques liées au changement climatique, sera en fait à très
court terme dans une situation compliquée.
En effet, l'acidité de ses deux cépages
phares, le Viognier et la Syrah, est déjà particulièrement basse. Le
réchauffement s'intensifiant, les pH des vins septentrionaux vont atteindre des
valeurs préjudiciables en termes œnologiques.
Il faut se rappeler l'importance de
l'acidité pour les grands vins rouges et blancs. Un pH faible est, de manière
directe, un rempart efficace contre la prolifération des microorganismes
d'altération. Le SO2 libre étant plus actif à pH faible, ceci garantit
également un effet indirect contre ces microorganismes. Un SO2 actif élevé est
aussi gage de protections antioxydante et antioxydasique, qui permet de
préserver l'aromatique spécifique du Viognier et d'allonger la durée de vie des
vins rouges de garde.
Réchauffement climatique rime également
avec augmentation du degré d'alcool. Sur cet aspect-là, c'est surtout le
Viognier qui est concerné. Cépage assez précoce, il pourrait prochainement
atteindre des degrés incompatibles avec les attentes des consommateurs. Un vin
blanc à 14% n'est pas un profil très recherché.
On pourrait penser qu'une solution toute
simple peut tout régler à la fois : récolter plus tôt. Mais ce serait oublier
que la maturité technologique (alcool/acide) n’est pas forcément corrélée aux
maturités particulières des arômes varietaux et des polyphénols. Or, ces deux
maturités là sont des éléments clés de la qualité des vins septentrionaux.
En caricaturant, on pourrait dire que la
qualité première du Viognier est son aromatique variétale : ses terpènes spécifiques
(norisoprénoides) sont responsables des arômes de violette et d'abricot/pêche.
La Syrah, elle, est caractérisée par son aromatique variétale (poivre,
violette, animal, etc.) et son intense trame polyphénolique.
Récolter
plus tôt pour conserver un bon équilibre alcool/acide, pourrait donc avoir pour
conséquence de perdre ce qui fait la typicité de ces deux emblématiques
cépages.
L'institut Rhodanien a souhaité étudier
cette hypothèse, et d’une manière globale, vérifier la viabilité d'une récolte
plus précoce. Un projet de recherche a donc été monté, financé par la Région
AURA (Climoeno). La première année d'expérimentation vient tout juste de rendre
ses résultats.
Il nous a été permis de constater qu'il
y a bien une forte modification du profil aromatique et polyphénolique en
récoltant plus précocement que d'habitude. Et ce, sur nos deux cépages.
Pour arriver à cette conclusion, nous avons vinifié 3 dates de récoltes sur la même parcelle de Viognier (cf paramètres œnologiques).
|
Alcool
(%) |
pH |
AT (g/L
H2SO4) |
récolte Précoce |
11.8 |
3.05 |
4.40 |
récolte Moyenne |
14.2 |
3.30 |
3.50 |
récolte Tardive |
16.0 |
3.85 |
1.80 |
Les vins ont été dégustés par différents panels de professionnels et d’experts
entraînés. Le profil aromatique de la récolte tardive (16%) est peu différent
de celui de la maturité moyenne (14%) : on reconnait l’aromatique
spécifique du Viognier. Au contraire, le profil de la date de récolte précoce
(12%) est clairement thiolé (agrumes), donc très différent des deux autres
dates (cf radar dates).
En bouche, l’équilibre alcool/acide évolue
très significativement à la fin de la maturité : la récolte tardive est jugée
bien moins acide et bien plus alcooleuse que les deux précédentes. Sur cette
expérimentation, la surmaturité technologique s'accompagne d’un profil aromatique
qui demeure acceptable, mais le déséquilibre en bouche est rédhibitoire.
Notons aussi que la maturité précoce est
moins équilibrée que la maturité moyenne, du fait de son importante acidité. Si
l’on y ajoute son aromatique atypique, la date de récolte précoce n’est pas non
plus à la hauteur de ce qu’on
attend traditionnellement d’un Viognier. Cependant, il faut préciser qu’un
consommateur qui chercherait un vin blanc vif et thiolé pourrait y trouver
satisfaction. Il est d’ailleurs communément admis que les vins blancs
vifs/acides ont aujourd’hui le vent en poupe.
Une question s’est donc imposée à nous :
est-ce que l'assemblage des différentes maturités de Viognier permet de
conserver son aromatique typique, tout en réhaussant un peu son acidité ?
Les premières dégustations laissent
penser qu’un tel objectif est atteignable en assemblant 50% de date précoce et 50%
de date moyenne. Le vin est plus équilibré, plus acide, moins alcooleux, et conserve
son intense aromatique de Viognier (cf radar assemblages). Cette observation
doit, bien évidemment, être consolidée sur les années suivantes.
Notons que l’assemblage des récoltes opposées,
à savoir précoce et tardive, donne un équilibre très intéressant en bouche,
mais le nez est fortement modifié et moins satisfaisant.
Un travail similaire a été fait sur
Syrah. Une Syrah du nord de la Vallée, récoltée à deux dates de maturités
différentes, a été vinifiée en ne faisant varier que la durée de macération
pelliculaire.
La première année d’étude montre le même
résultat que sur Viognier, mais dans des proportions moins intéressantes.
L’effet de la durée de macération, telle qu’elle a été expérimentée au cours de
cette première année, ne suggère pas que c’est un levier potentiel de
correction du profil en condition de sous-maturité et sur-maturité. Cette piste
sera explorée d’une manière différente l’année prochaine.
En conclusion de cette première année
d'étude, la sous-maturité technologique, tout autant que la sur-maturité,
semblent fatalement s'accompagner d'un changement de maturité aromatique. C'est
là qu'est le cœur du problème de typicité, car rien ne garantit que dans 20
ans, récolter à la même maturité technologique qu'aujourd'hui donnera toujours
la même typicité aromatique. Cette question est cruciale pour l'avenir de ces
deux cépages emblématiques.
La solution pourrait venir des solutions
œnologiques de contournement des conséquences sur la maturité technologique :
acidifications et désucrages. Mais encore faut-il que ces solutions soient
œnologiquement efficaces, économiquement viables et éthiquement satisfaisantes.