Etude des molécules aromatiques liées à la présence d'érigeron lors des vendanges.
L'érigéron est une plante invasive qui peut proliférer dans les vignes si
le couvert végétal n’est pas maîtrisé. Quand leur prolifération est trop
importante, les graines et sommités fleuries peuvent se retrouver en masse dans
les bennes des machines à vendanger.
L'institut Rhodanien a voulu vérifier une croyance répandue dans le vignoble : ces graines et fleurs d'érigéron donnent-elles un mauvais goût au vin lorsqu’elles sont mélangées à la vendange ?
Le millésime 2021 nous a permis de
tester cette hypothèse sur une parcelle abondamment colonisée. On peut
d'ailleurs considérer que notre parcelle expérimentale, cette année-là, a
atteint un maximum dans ce qu'il est permis de voir en termes de prolifération
d'érigéron.
Protocole :
Une série de tests, réalisée par le Laboratoire Dubernet, a permis de
constater que les graines et fleurs d'érigéron relarguent bien des composés
dans le jus de raisin. Une famille de molécules en particulier a été identifiée
: les terpènes.
Il faut noter que ces terpènes existent dans le vin a l'état naturel ; ce
sont même les marqueurs essentiels de la qualité des Muscats et Gewurztraminer,
pour ne citer qu'eux. Cependant, les teneurs en terpènes mesurées en
laboratoire après la macération de graines et fleurs étaient si importantes,
que les arômes en étaient désagréables.
À la suite de ces tests, il a été décidé de suivre l'extraction des terpènes au cours de différents process de vinification.
Quatre modalités
expérimentales ont donc été vendangées puis vinifiées à l’échelle pilote :
Ø Censée être la plus contaminée en terpènes
Ø
Sans érigéron, donc
censée être sans terpènes = Témoin de l'expérimentation
Ø Censée être contaminée comme la première modalité = Témoin pour invalider
un effet du type de récolte en tant que tel.
Ø Censée être moins contaminée en terpènes que la première modalité, car la
macération des graines et fleurs est réduite à la durée du transport jusqu'à la
cave.
Après les fermentations, les vins ont été élevés classiquement puis mis en
bouteille durant l’hiver.
Les dosages de terpènes ont eu lieu sur moût puis sur vin fini. Les
échantillons ont été congelés et analysés tous ensemble, au laboratoire
Dubernet lors du printemps suivant.
Aucune analyse sensorielle n'a été réalisée, la qualité des vins ne
permettant malheureusement pas leur dégustation.
Résultats :
Il n’y a aucune différence notable sur les paramètres analytiques
classiques entre les quatre modalités expérimentales, que ce soit au stade moût
ou au stade vin fini. La présence de graines et fleurs en grandes quantités ne semble
pas impacter les paramètres œnologiques (acidités, azote, sels minéraux…).
A contrario, les dosages des terpènes montrent de grandes différences
:
Les terpènes ont des teneurs maximales très différentes d'une espèce à une
autre. Pour faciliter la lecture des résultats de dosages, nous avons choisi de
les représenter après lissage relatif des teneurs maximales à 100 µg/L. Cette
opération statistique améliore la lisibilité car, dans cette expérimentation,
les terpènes atteignent tous leur valeur maximale au même stade et pour la même
modalité : rouge vendange mécanique au stade moût (juste après
éraflage-foulage).
Teneurs en terpènes libres (en µg/L), aux deux stades de la vinification
(moût et vin), après lissage relatif de toutes les espèces à 100 µg/L :
Hormis pour le cas du linalol, tous les autres
terpènes sont nettement plus présents dans la première modalité (machine à
vendanger vinifiée en rouge), que dans les autres modalités. Cela signifie
qu'une vendange mécanique éraflée-foulée et macérée en rouge est, de loin, la
pire façon de limiter les terpènes des érigérons.
Cependant, il convient de relativiser ce problème, car
après fermentation et élevage, il ne reste pratiquement plus de terpènes. Et ce
pour tous les process de vinification.
Cette chute importante des terpènes entre le stade
moût et le stade vin fini a déjà été observée par le passé, en
micro-vinifications au Laboratoire Dubernet.
Les terpènes libres extraits lors des étapes
préfermentaires pourraient être métabolisés par les levures au cours de la
fermentation alcoolique. A moins qu'ils ne soient sédimentés dans les bourbes
et lies, ce qui semble moins probable vu la nature de ces composés.
Finalement, c'est même à la fin de la vinification en
rosé, dont les étapes préfermentaires limitent le plus la prolifération des
terpènes, qu'on observe la plus forte teneur en linalol sur vin fini. Il y en a
même plus au stade vin fini qu’au stade moût : ce résultat semble
paradoxal.
A-t-on assisté à une néo-production de linalol au
cours de la fermentation en rosé ? Cette possibilité n'est pas à exclure,
puisque les levures sont capables de déglycosyler les terpènes. Il est possible
que les conditions de fermentation en rosé dans notre expérimentation (basse
température, moût fortement débourbé, levure spécifique rosé…) aient été plus
favorables à la production de terpènes libres que les conditions en rouge. Ceci
a déjà été démontré dans la littérature.
La valeur atteinte (98 µg/L) est largement supérieure
au seuil de perception du linalol dans le vin (25 µg/L), donc il doit
logiquement être perçu. Nous n'avons malheureusement pas pu réaliser d'analyse
sensorielle pour le confirmer.
Le rajout manuel d’érigéron dans les caisses lors de
la récolte manuelle n’a pas eu d’effet : au stade moût, la modalité Rouge
Manuel Sans Rajout contient autant de terpènes que la modalité Rouge Manuel
Avec Rajout. Ce résultat est inattendu.
Il suggère que l’essentiel des terpènes sont extraits
durant la macération préfermentaire, et non durant la macération fermentaire.
Car il n’y a pas eu de macération préfermentaire dans la modalité Rouge Manuel
avec Rajout. Contrairement à la modalité Rouge Méca, la plus chargée en
terpènes, où la macération a commencé dès la récolte, donc au stade préfermentaire.
Conclusions :
Sur vin fini, on n’observe que très peu de terpènes.
Même dans la pire des conditions (vinification en rouge d’une vendange
mécanique bien chargée érigérons), il n’en reste pratiquement plus après
élevage.
Il semblerait que les terpènes soient extraits lors de
la macération préfermentaire, puis beaucoup moins lors de la macération
fermentaire.
Finalement, dans notre expérimentation, seul le
linalol persiste dans des teneurs importantes. Il ne serait perceptible que
pour la modalité vin rosé. Dans cette dernière, la teneur importante pourrait
résulter d'une néo production, à partir des précurseurs extraits en phase
préfermentaire, favorisée par les conditions particulières de vinification en
rosé.
Il faudrait d’ailleurs vérifier par analyse
sensorielle si ce linalol engendre réellement une dépréciation de la qualité du
vin rosé.
Car, au vu de ces résultats, on peut se poser la
question de la perception du défaut « érigéron » au stade vin
fini : mythe ou réalité ?